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Review


Olympia, Liverpool, England, United Kingdom (2001)




Le Journal de Babord de JDB : l'ordre rétabli


Mercredi soir, New Order retrouvait la scène à Liverpool avec un concerts enfin digne et habité : d'excellente augure avant un nouvel album remarquable et une venue à Paris dans le cadre du festival des Inrocks.

La semaine passée, on vous racontait le retour au pays de deux enfants prodiges d'Angleterre : Fatboy Slim pour un triomphe sur la plage de Brighton, Radiohead en parfaite compagnie (Beck, Sigur Rós et Supergrass) pour une expérience trop rare dans un parc d'Oxford.

On aurait pu vous raconter cette semaine le retour éclatant de Moby dans son New York natal, lui aussi idéalement accompagné, de Rinocérôse aux Roots, de Juan Atkins à Outkast, de Paul Oakenfold à Carl Cox. Mais ces festivals ultra-fliqués d'Amérique ayant tendance à vous dégoûter de la musique – traitée sur place comme un autre commerce, entre pop-corn et bons sentiments –, on ne dira pas un mot sur ce raout pas cool du tout. Une "fête" finalement aussi crispée et coincée que le pauvre Moby, que l'on vit, en coulisses, porter tout péteux un gâteau d'anniversaire aux Roots.

Le même festival itinérant organisé par Moby accueillera, dès la semaine prochaine, les premiers concerts américains de New Order depuis des siècles. Dans une logique typique neworderienne, c'est à Liverpool, la ville ennemie par excellence de Manchester, que les Mancuniens se rodaient mercredi soir.




On profite de l'après-midi à Liverpool pour aller voir, en répétition, un groupe dont le premier single, Shadows fall, est l'une des meilleures nouvelles nordiques de ce début de siècle : exactement ce que Liverpool attendait depuis les La's. 18 ans de moyenne d'âge, une énergie terrassante, une gouaille jouissive, une culture musicale sidérante et des chansons d'un culot pas possible : pas de doute possible désormais, The Coral fait partie des immenses groupes de Liverpool, de cette caste glorieuse où Echo & The Bunnymen, Pale Fountains et les La's ont leurs habitudes. On a oublié les Beatles ? Ah oui.

En sortant, hébété, de cette douche à haute pression, on croise le bon Hooky, fidèle bassiste de New Order, en short et en famille, dans un hôtel du centre, à quelques centaines de mètres du studio où l'on a vu le futur du rock local. Souriant et détendu jusqu'à la nonchalance, Hooky nous jure qu'il assurera lui-même, à la basse acoustique, la première partie du concert de New Order ce soir. Visiblement ravi de retrouver Paris en novembre à l'occasion du prochain festival des Inrocks, il profite de l'occasion pour vanner le nouveau membre de New Order : Billy Corgan, le guitariste de luxe prêté par la dépouille des Smashing Pumpkins.

Liverpool est une ville où l'on parle sans ambages, on l'on vanne sans pitié. Il faut le savoir avant de prendre un taxi. Celui qui nous mène à l'Olympia, un vaste théâtre de stuc qui servit de salle de bingo et où joue, en fin de soirée New Order, nous le rappelle. "Ah, vous allez à l'Olympia, voir le groupe de pédés ?" Stupeur dans le taxi. "J'vous dis ça car depuis le début de soirée, je ne transporte que des mecs là-haut. Y'a pas une femme dans la file d'attente. Et puis, New Order, ça fait pédé, comme nom. "

Peu de femmes, effectivement, dans la salle, qui évoquerait un Olympia parisien après un bombardement. En tout cas, peu de jeunes femmes : les rares à s'être aventurées dans cette banlieue où joue généralement le club de football d'Everton ne sont là que pour accompagner leurs maris, convoquées par la nostalgie de boum étudiantes où ces couples encore sveltes dansaient sur Blue Monday.

Sans la moindre publicité, sans affichage, New Order a rempli fastoche ce théâtre de 3000 places, leur maison de disques ayant profité de l'occasion pour faire venir la presse du monde entier. Il faut dire que New Order, hormis quelques festivals expédiés, n'a pas proprement joué depuis une éternité. Par l'odeur d'événement alléchés, les VIP se pressent : on croise le producteur new-yorkais Arthur Baker, l'endive écossaise Bobby Gillespie de Primal Scream en famille, Bez des Happy Mondays… Dans la salle, la testostérone monte, en geysers. "New Order, New Order", beuglent les hommes, façon chant de football – ces deux mots, ainsi scandés en masse, provoquent un malaise indéniable. En première partie, leurs concitoyens atmosphériques d'Elbow se chargent de faire descendre de quelques degrés supplémentaires les températures déjà automnales de Liverpool.

Concert troublant et dérangé, histoire de rappeler que ce groupe à part ne joue pas dans la même ligue que Coldplay ou Travis, mais dans les sous-sols de cette pop lyrique, sans éclairage et sans chauffage.




Quand New Order monte finalement sur scène, on voit, partout dans la salle, des visages incrédules, stupéfaits : la plupart des garçons étaient trop jeunes la dernière fois que New Order a tourné en Angleterre. On a l'impression qu'ils ont attendu ce moment toute leur courte vie. La guitariste/clavier Gillian Gilbert étant retenue à la maison pour s'occuper d'un fils grièvement malade, son rôle a été divisé entre deux musiciens : un guitariste/clavier en arrière de scène se charge du gros œuvre, Billy Corgan des Smashing morts assure quelques décorations de guitare. La stupeur de voir le groupe en vrai est à peine retombée que l'incrédulité reprend le dessus, quand New Order attaque son retour aux affaires avec un morceau hautement symbolique : le Atmopshere de Joy Division. Jouée brutalement, malmenée, cette chanson sublime provoque d'entrée autant de larmes que de sueur. Discret, en veste de cuir et en bob enfoncé jusqu'aux yeux, Billy Corgan se réhabitue à l'anonymat, guitariste besogneux et consciencieux interdit, ce soir, de frime, de solos, d'éclats. Barney chante mieux que jamais, la voix toujours distante et plaintive mais ferme. Hook, lui, joue de la basse comme il l'a toujours fait : avec violence et jambes écartées, l'instrument terrifiant en rase-motte sur le plancher de la scène. Le batteur Stephen Morris tape avec sa légendaire et diabolique précision, qui fait de lui la plus fascinante boîte à rythmes humaine. Rigolard et à jeun – deux nouveautés importante pour lui –, Barney s'amuse avec le public, le prévient que le concert va durer une heure et demie – là aussi, une grande nouveauté pour ce groupe généralement pingre de lui-même. Le rapport au public, autrefois perplexe jusqu'au dédaigneux, s'est transformé en une sorte de chaleur, de connivence. Elles aussi débarrassées de la tension et de l'anxiété, les chansons gagnent en souplesse ce qu'elles perdent en urgence. Un traitement apaisant qui réussit à merveille sur des chansons récentes, comme Regret, mais qui fait perdre de la flamboyance à des morceaux d'anthologie, True faith par exemple, qui fascinaient justement par cet équilibre miraculeux entre la rigueur des rythmiques et la nervosité du chant, l'approximation de la guitare. En introduisant l'irrésistible Love vigilantes, Barney tripote son légendaire mélodica de plastique. "Excusez-moi d'être si nul au mélodica, mais j'ai des petits doigts". Ça ne l'empêche pas de jouer une version sublime de cette merveille, à la fois martiale et joyeuse. A la guitare, Billy Corgan n'en perd pas une miette, chantonnant dans son coin ces chansons qu'il connaît par cœur, qui ont bercé son adolescence et qu'il se retrouve ce soir, miraculeusement, à accompagner.

Puisque New Order a décidé de jouer désormais la transparence, de ne plus avoir de tabous, une deuxième reprise de Joy Division est vite lancée : Isolation devient un genre de drum'n'bass métallique et menaçant, aussi sombre que raté. Sur le toujours aussi émouvant Your silent face, on voit des dizaines de téléphones portables surgir, à bout de bras, du public : l'émotion est trop forte, on veut faire partager ce moment rare avec les copains restés à la maison. Il faut une vanne de Barney pour nous faire redescendre sur terre. "Excusez le, il est timide", dit-il au public en montrant un Billy Corgan de plus en plus humble et effacé. Après une telle extase, on accepte même avec gratitude une version explosive et tourmentée du pourtant moyen Touched by the end of God. Surtout que New Order enchaîne avec une version, scintillante, de Bizarre love triangle. Plus que les autres, cet hymne rallume le brasier d'une nostalgie collective : dans le public, on s'empoigne, on rit et on pleure en grappes hystériques et émues.

La séparation entre ceux que New Order a entraînés, à la fin des années 80, vers la dance-music et ceux qui sont restés fidèles au rock est alors très nette : les premiers dansent avec habitude et expertise, les seconds avec maladresse mais foi. Le toujours parfait Temptation, intact dans son éblouissante prescience, résiste lui aussi parfaitement à l'épreuve impuissante du temps : comment l'air du temps pourrait avoir la moindre prise sur cette chanson pionnière, elle qui lui a indiqué dans quel sens souffler il y a plus de quinze ans, bien avant que les noces entre le rock et le dancefloor ne soient une affaire entendue ?

Pour la première fois, Billy Corgan s'aventure, fier, en front de scène, l'instinct de rock-star ravivé par cette chanson fondamentale, vite enchaînée à une version bâclée et frustrante de Love will tear us apart. Une chanson qui laboure l'échine même dans cette version détraquée. La joie de Hooky à jouer, en force, cette légendaire ligne de basse, est déjà, en soi, un plaisir pour les yeux – sinon les oreilles. Puisque la logique de New Order ne sera pas respectée ce soir, il y aura trois rappels : deux versions un rien poussives du vilain Ruined in day puis 60 miles per hour, pourtant extrait de l'enthousiasmant prochain album Get ready. Le concert s'achèvera sur une lecture obligatoirement cataclysmique de Blue Monday, cette immense chanson que le groupe n'a jamais été capable de jouer hors de son studio




Ceux qui ont un bracelet blanc – les invités, visiblement aussi nombreux que les payants – se retrouvent ensuite dans le méga-club de Liverpool, le cultissime Cream, où se bousculent généralement les DJ's les plus huppés du Royaume. Dans la queue, on retrouve Tony Wilson, le fondateur de Factory Records, star médiatique et découvreur, notamment, de Joy Division il y a presque vingt-cinq ans. Accompagnés de la toujours aussi jolie Yvette, le couple fait tache, endimanché à mort. Normal : Tony Wilson revient tout juste de Londres, où il a été reçu dans l'après-midi par la reine. Et il est là, quelques heures après, à s'embrasser à tour de bras avec Bez, l'ancien danseur des Happy Mondays. Que l'on verra, quelques instants plus tard, besogner méthodiquement sa copine à quelques dizaines de centimètres du dancefloor, derrière les gigantesques hauts-parleurs. Sexy : ce soir, Bez s'écrit Baise. La soirée sera chaude et prisée, avec plein de sexe, de drogues, d'alcools, d'animaux soumis, de pop-stars et de journalistes françaises. Mais ça ne vous regarde pas. Dehors, des vendeurs à la sauvette fourguent des sweat-shirts : "New Order, Olympia, 2001". Dans quelques mois, à Paris, il seront toujours d'actualité.


Jean-Daniel Beauvallet
20 juil. 2001



Source: Jean-Daniel Beauvallet (Les Inrockuptibles)